Prix News, RIP Arles

Chaque fois que je repense à Venise, je n’arrive pas à fixer précisément dans mes souvenirs ses monuments, ses curiosités. A l’inverse dansent dans ma tête, comme des obsessions, les centaines de visages croisés au hasard de mes pas. Le soir, je brasse pêle-mêle tous ces portraits, d’européens pour la plupart, comme une montagne de photos d’identité empilées en vrac sur une table.

Jeunes garçons sans respect du passé, sœurs ou amies d’enfance réunies le temps d’un court séjour, européens en quête de racines, ils disparaissent au coin de ruelles étroites. J’imagine qu’ils se dirigent vers des lieux secrets où combattre la solitude le soir après la fermeture des rideaux métalliques sur les vitrines. Des gens s’y retrouvent, y parlent librement et se fixent rendez-vous pour le lendemain au vaporetto de Torcello. Là bas, ils marchent quelques heures côte à côte en regardant leurs pieds, puis se quittent sans nostalgie. Ils ont appris depuis longtemps les chemins qui divergent.

Tous sont en arrêt pour quelques jours de leur vie, j’aimerais partager un peu de leur intimité avec la ville. Pourtant je les fuis alors que l’angoisse me reprend sitôt seul au fond d’un cul de sac avec les chats. Comme des bulles dans une bande dessinée, des visages remontent à la surface de ma mémoire, magazine de la vie feuilleté à la hâte.

Daniel ANIZON

Cette série a été exposée aux Rencontres Internationales de la Photographie en 1985. Elle a été réalisée à l’aide du Prix « International News » remporté aux mêmes Rencontres d’Arles en 1984.

Everytime I think of Venice, I cannot quite fix its monuments in my memory. Conversely, hundreds of faces seen by chance dance in my mind like obsessions. At night, I shuffle these portraits like a mountain of I.D. photos piled on a table.

This series won the « International News » Award at the Rencontres Internationales de la Photographie (RIP) in Arles, France, in 1984 and were shown at a personal exhibition also during the RIP in Arles in 1985.